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Les résidences de mixité sociale programmée du Parc Habité (3/4)

Après vous avoir parlé du quartier d’Arenc, je vous parle aujourd’hui de la question de la “mixité sociale programmée” du Parc Habité.
Le format est celui de la présentation d’une recherche universitaire en urbanisme que j’ai terminée fin 2022 après deux ans de travail.
Avant de démarrer la lecture des articles, je vous recommande de lire l’introduction à ce travail de recherche qui est en ligne ici.

Les résidences de mixité sociale du Parc Habité, des références sous conditions

Ensembles immobiliers du troisième type

L’EPAEM a volontairement attribué les fonciers des trois résidences – le « M-IM1 », « My Liberty » et le « 2e Elément » – à des architectes et à des promoteurs différents. Ils ont dû respecter les documents réglementaires : le plan local d’urbanisme, les prescriptions de la ZAC CIMED, des fiches de lots, du cahier des charges de cession de terrain… Cependant, seul le « 2e Elément » a fait l’objet d’un appel d’offres. Les autres marchés ont été attribués de gré à gré, ce qui je m’empresse de l’ajouter a été validé dans le dernier rapport de la CRC PACA sur l’EPAEM. Il faut se rappeler qu’à l’époque du M-IM1 (dont le premier permis de construire date de 2012) « personne n’en voulait, de ce truc », comme me l’explique clairement un promoteur.

Au niveau des structures juridiques et des modèles de gestion, il y a deux cas différents, et c’est important pour la suite. Le « M-IM1 » est une copropriété divisée en volumes : chacun gère donc son bâtiment indépendamment, mais une Association syndicale libre (ASL) avec son propre conseil syndical et son propre syndic traite les questions relatives aux espaces communs et au système de chauffage et d’eau chaude. « My Liberty » et le « 2e Elément » sont en revanche deux copropriétés uniques, avec un seul conseil syndical et un seul syndic.

Vous voyez ci-dessous le « M-IM1 » avec en haut à gauche du plan le bâtiment 4 (31 logements sur 167) initialement prévu pour de l’accession en TVA à 20 % et 5,5 % mais finalement vendu à un bailleur institutionnel.

Ci-dessous « My Liberty », qui est la seule résidence à mélanger les logements du bailleur social et les logements privés dans un des bâtiments. C’est quelque chose qui n’arrange ni les bailleurs, car cela complexifie leur gestion, ni les promoteurs, car cela complexifie la construction et la vente. Et c’est une vue de l’esprit de penser que c’est mieux que des bâtiments séparés, parce qu’on n’a en fait aucune preuve que cela ait des effets bénéfiques sur la mixité : on a même plutôt des signes du contraire, à savoir que cela exacerbe les tensions au lieu de favoriser l’altérité. Il y a des exemples dans la littérature et j’en ai aussi quelques-uns que je détaille dans ma recherche.
Une autre caractéristique de « My Liberty » c’est qu’ils ont transformé une « conciergerie » (dont personne ne voulait) en salle de réunion et en local pour un gardien (dont tout le monde voulait).

Comme « My Liberty », le « 2e Elément » est une seule copropriété mais avec deux bailleurs (comme le « M-IM1 » : 1 social et 1 institutionnel). Lui aussi a un bâtiment (le bâtiment F, en haut à droite du plan) initialement prévu pour de l’accession privée mais qui a finalement été vendu à un bailleur institutionnel, ce qui explique la part majoritaire anormale des bailleurs dans cette copropriété (LLI 29 % et LLS 17,5 %). Sa spécificité – en dehors de faire régulièrement la une de la presse parce qu’il y a des proliférations de légionelles dans son réseau d’eau chaude – c’est d’avoir un vrai jardin qui fonctionne merveilleusement bien. En revanche les toits-terrasses et feu la « conciergerie » sont représentatifs de ces « espaces partagés que personne ne partage » (c’est une citation de l’architecte Mathieu Poitevin que je trouve vraiment pertinente).

Je vous montre ci-dessous un tableau plus détaillé de la composition de chaque résidence. En termes de programmation, la demande initiale de l’EPAEM sur ces bâtiments était de 20 % de LLS minimum, 30 % en TVA 5,5 % et 50 % en TVA à 20 % maximum. On a vu que si les pourcentages de LLS et de TVA 5,5% ont été conformes à ces prévisions, une partie des ventes prévues en TVA 20 % s’est finalement transformée en vente en bloc à des bailleurs pour faire du logement locatif intermédiaire (LLI).

Sur les accès réservés aux uns ou aux autres, il y a aussi parfois quelque chose d’absurde à voir les commerciaux vendre aux particuliers ce que j’appelle la non-mixité dans la mixité, même quand on ne leur a rien demandé. Certains vont même jusqu’à mentir, prétendant par exemple que « il y aura des logements sociaux mais ils n’auront accès à rien  », ce qui n’est heureusement pas le cas mais renforce les préjugés au lieu de les combattre.

Ce que l’on comprend bien à ce stade c’est que les acquéreurs privés sont les seuls qui n’ont pas eu leur mot à dire et qu’ils achètent donc quelque chose qui a été conçu et produit sans eux et sans pouvoir appréhender la complexité ni les conséquences éventuelles de leur achat. Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas responsables de leur choix mais la limite est quand même parfois ténue, d’autant qu’ils se voient tous imposer d’entrée le syndic choisi par le promoteur et validé par le bailleur, ce qui comme je vous l’ai déjà raconté va généralement mettre la copropriété en difficulté dès la première année.

Une mixité sociale presque hors sujet

Dans mon enquête, si le sujet de la mixité sociale existe, il va être peu présent dans le discours des habitants et en tout cas supplanté par les préoccupations liées aux problèmes de construction et de gestion de leur résidence et aux insuffisances du quartier.

Ce qu’évoquent le plus souvent les répondants, locataires compris, c’est le manque de considération des promoteurs et des bailleurs. Il y a beaucoup d’incompréhension, voire de sidération face à des situations qu’ils n’ont pas du tout anticipées puisque c’est neuf (et qu’ils ont donc payé plus cher). Du côté des acheteurs, les actions correctives se révèlent extrêmement complexes pour faire avancer les dossiers , qu’il s’agisse de malfaçons sur les parties privées ou sur les parties communes. D’ailleurs même certains bailleurs institutionnels laissent parfois tomber.

La géothermie marine imposée par l’EPAEM est également un irritant. Les discours sur l’écocité Euroméditerranée, la décarbonation, les labels Bâtiment Durable Méditerranéen et autres sont en effet inaudibles face aux problèmes de conception, de construction, de coûts et de risques techniques et sanitaires qui touchent tour à tour les systèmes de chauffage et d’eau chaude de ces trois résidences. Les autres problèmes évoqués sont la chaleur (qui engendre la pose de climatiseurs individuels), les commerces en bas d’immeubles (vacances ou nuisances), le bruit des passerelles autoroutières, et les charges élevées une fois que l’on arrive à calculer leur montant réel plutôt qu’estimé.

En ce qui concerne la vie de l’immeuble, ce sont principalement les incivilités liées aux parkings souterrains qui sont citées. La taille relativement raisonnable de ces trois résidences et la vigilance des habitants permet cependant de limiter les dérives.

Témoignages

“Il y a un mois on a envoyé une email et lettre recommandé parce qu’on a infiltrations d’eau au plafond et dans les murs dans la cuisine/séjour et rangement et n’ont toujours pas été réglées malgré diverses relances. Depuis plusieurs jours la situation s’est fortement aggravée car le disjoncteur saute toutes les 5 minutes… on est dans le noir sauf une chambre, on a perdu tout dans le congélateur et frigo… pas de four, micro-ondes… on est obligé à manger dehors ou commander à manger… j’ai un bébé et un enfant. Je ne comprend pas comment ils peut nous laisser comme ça.”

“On a eu des infiltrations dès le début, avec un déshumidificateur installé pendant des mois dans le salon-cuisine, tout comme nos voisins du dessous. C’est en terminant de monter la cuisine qu’on a fini par s’apercevoir, après beaucoup d’interventions pas toujours pertinentes du promoteur, d’une fuite sur une canalisation. Mais en faisant les travaux de réparation ils ont cassé des carreaux au sol et il a fallu re-démonter la cuisine pour les remplacer. Après on a eu une nouvelle infiltration, cette fois-ci dans un placard électrique, et là on s’est aperçus que l’électricité était mal étiquetée, l’arrivée électrique abîmée… Puis ça a commencé à fuir chez les voisins parce que l’étanchéité de notre terrasse était mal faite… Ca s’arrêtait jamais mais on n’a rien lâché, même lorsqu’ils sont passés en mode intimidation…”

Je voudrais en profiter pour aborder ici rapidement le sujet du voisinage, même si le sujet est différent de celui de la mixité.
Loin des images idéalisées par l’EPAEM d’habitants qui passeraient leur temps à se taper dans le dos lors de grands apéros sur des terrasses partagées, c’est plutôt comme me dit un résident « les emmerdes qui rapprochent ». Et ce rassemblement face à l’adversité tisse des liens, probablement sous-valorisés tout comme on sous-valorise une certaine résilience collective de ces habitants, sachant que tout cela a bien sûr des limites.

Les départs sont relativement nombreux, même si le plus souvent pour motif de mutation professionnelle, mais contrairement à ce que pourrait laisser supposer le tableau que je vous ai dressé jusqu’ici, ces départs ne se font pas toujours de gaité de cœur.
Parce qu’en fait la plupart des habitants finissent par me dire qu’ils sont « bien chez eux », appréciant notamment leurs loggias et/ou terrasse et, comme je l’ai déjà évoqué, la bonne situation et desserte du quartier.

Pour le reste, on assiste à des échanges de services, parfois un peu plus, mais on ne remarque pas d’initiatives collectives, sauf très codifiées comme des fêtes d’enfants ou la fête des voisins.
Au chapitre des désaccords on est aussi sur du classique : problèmes de bruits, de déchets, de places de parking squattées.

Les récents travaux de la chercheuse Joanie Cayouette-Remblière et l’enquête « Mon Quartier Mes Voisins » qu’elle a co-piloté révèlent que le voisinage dans les quartiers de mixité sociale programmée est effectivement plus pragmatique que convivial mais que les troubles de voisinage y sont plutôt moins fréquents. Le chercheur Maxime Felder a également montré dans ses travaux que le bon voisin  n’est pas forcément celui qui cherche le contact mais plutôt celui qui observe une réserve polie, celui dont on ne parle pas mais qui reste vigilant et mobilisable en cas de besoin.

Et ce voisinage discret, ces liens activables participent il me semble à la cohabitation pacifique nécessaire au maintien de la mixité effectivement créée.

Contrairement aux sujets des malfaçons ou des manques du quartier, il n’est pas très facile d’obtenir des réponses sur la question de la mixité sociale, et elles comportent forcément des biais (y compris par rapport à moi puisque j’habite dans une des résidences enquêtées).
9 habitants sur 18 émettent un réel avis sur cette question : 6 positifs et 3 négatifs. Il faut souligner que les réponses les plus mitigées ne viennent pas des classes les plus aisées et que la seule personne qui me dit avoir proactivement souhaité cette mixité est la seule et unique locataire en logement social qui a bien voulu me répondre.

Si cette mixité est donc généralement subie, cela ne veut pas forcément dire qu’elle dérange mais les réponses s’expriment par « absence de… » (dérangement) et sont parfois assorties de conditions. Comme souvent quand on parle de mixité sociale, ce qui émerge c’est plutôt la question de la norme de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas, d’où que vienne le trouble.

A l’époque où je mène mon enquête, la résidence où il semble y avoir le plus de tensions est le « M-IM1 ». S’il est impossible de dire pourquoi, on peut émettre quelques hypothèses :
– Il y a des tensions récurrentes entre les locataires sociaux du bâtiment 3 et l’école privée catholique Robert Schuman dont la cour est installée sous les fenêtres de ces locataires, et où une partie des autres résidents du M-IM ont leurs enfants.
– Le bailleur social est peu présent et n’accompagne pas ses locataires alors que 14 d’entre eux sont bénéficiaires du Prêt Locatif Aidé d’Intégration.
– Dans le modèle de gestion du M-IM1 la communication n’est pas favorisée puisque chacun s’occupe de son bâtiment avec juste l’AG de l’ASL comme « point de rencontre ».

Cela étant, nous allons voir que la gestion en copropriété unique de « My Liberty » et du « 2e Elément » pose d’autres problèmes.

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