Je republie cet article que j’avais écrit en mai 2020, car aujourd’hui des analyses sur le réseau d’eau chaude sanitaire d’un de nos immeubles ont “mis à jour” une présence totalement anormale de légionelle, preuve que rien n’a été fait depuis pour corriger les dysfonctionnements déjà largement détectés à l’époque.
Un article détaillé de Marsactu, dont je suis (petite) actionnaire, qui enquête depuis longtemps sur ce sujet de la légionelle dans les immeubles à Marseille et que je remercie pour le temps passé à comprendre et à rendre compte de ce dossier compliqué, est à présent publié ici.
De la centrale de géothermie marine Thassalia jusqu’au pied des immeubles du Parc Habité d’Euroméditerranée, ça va à peu près. Ensuite, ça se gâte…
Bienvenue dans une opération pilote sur 500 000 m2.
Parmi les promesses alléchantes faites aux acquéreurs des plus récents immeubles du Parc Habité d’Arenc, il y avait celle de l’alimentation en chauffage, eau chaude et éventuellement climatisation par un réseau urbain de chaud et de froid paré de toutes les vertus. Produite par la centrale de géothermie marine Thassalia (filiale à 100 % du groupe ENGIE à travers ses sociétés Cofely et Climespace) et inaugurée en octobre 2016, cette énergie issue à 70 % de la mer, à 25 % de l’électricité et à 5 % du gaz serait à la fois renouvelable, plus propre et moins chère que les solutions dites « autonomes ».
Intéressée par ces sujets et ayant de surcroît travaillé de nombreuses années chez ENGIE, j’avais très tôt essayé de me renseigner sur cette spécificité des futurs logements du Parc Habité. Mais quels que soient les programmes, les commerciaux étaient bien incapables de me fournir des précisions sur cette solution “innovante”. Une seule information revenait de manière récurrente : le prix de cette énergie serait beaucoup plus avantageux que celui de toutes les énergies fossiles, comme l’indiquait également la Présidente d’Euroméditerranée à l’occasion de l’inauguration de Thassalia en octobre 2016.
Qu’en est-il dans les faits ? Et bien comme souvent à Marseille, « c’est compliqué ». Sur le papier, les équations tiennent et tout est validé, mais dans la réalité les problèmes sont aussi multiples que les acteurs. Au final le plus grand flou subsiste pour les habitants, dont certains trouvent la facture aussi salée que l’eau de mer et ont du mal à avaler qu’on les ait rendus ainsi captifs d’une solution énergétique dont le fonctionnement reste par ailleurs erratique.
Combien ça coûte ?
Pour essayer de s’y retrouver un peu, il faut tout d’abord tenter de comprendre les différents coûts liés au système ainsi que leur répartition jusqu’à la facture finale pour l’utilisateur.
Aucune communication auprès des habitants n’étant jamais organisée à ce sujet, je suis partie toute seule comme une grande à la pêche aux infos. Je dois ici saluer l’accueil du directeur général de Thassalia qui prit trois heures de son temps en 2019 avec son ingénieur d’affaires pour me faire visiter la centrale et répondre à toutes mes questions.
Techniquement, à partir de l’eau de mer qu’elle puise, la centrale fabrique du chaud et du froid. Cette énergie sert à chauffer ou à refroidir un réseau d’eau de ville qui diffuse à son tour du chaud et/ou du froid jusqu’à une « sous-station » construite sous la responsabilité du promoteur et appartenant à l’immeuble. Le premier coût engendré par l’installation est celui du raccordement de l’immeuble à Thassalia, la centrale étant située sur le môle d’Arenc, dans l’emprise du Grand Port Maritime de Marseille. Ce prix est négocié entre le promoteur de l’immeuble à raccorder et Thassalia avant même le début de la construction du bâtiment et doit être inclus dans le prix de vente des logements. Il est mentionné dans le contrat de 10 ans signé entre le promoteur et Thassalia, dans lequel figurent également tous les autres éléments de prix et conditions de la fourniture de service. A la livraison, ce contrat est transféré au syndic de l’immeuble.
A ce stade il existe donc une installation dont les coûts doivent être inclus dans le prix de vente des logements. Les coûts de l’énergie fournie commencent quant à eux à être facturés par Thassalia à la copropriété lorsque l’installation est mise en service, au moment de la livraison de l’immeuble. Ces coûts dépendent de différents éléments inscrits au contrat, et notamment :
- du prix du MWh (dit « R1 » été / hiver) qui est le même pour tous les immeubles concernés sur une année donnée, avec une TVA à 5,5 % ;
- du prix au kW de l’abonnement (dit « R2 ») également le même sur une année donnée et avec une TVA à 5,5 % ;
- de la puissance souscrite, exprimée en kW, qui diffère d’un immeuble à l’autre (selon son nombre de logements, son bilan thermique,…)
Comme pour une fourniture d’énergie classique, les redevances R1 et R2 sont indexées sur des indices de référence nationaux et varient selon les années, à la hausse ou à la baisse.
D’un immeuble à l’autre, et en dehors du prix du raccordement, la différence de prix de l’énergie facturée se fait essentiellement sur la puissance souscrite, qui multipliée par le R2 donne le prix de l’abonnement annuel. Ce prix de l’abonnement additionné à la consommation en MWh de l’immeuble est ce que le syndic doit régler au fil des mois à Thassalia et répartir ensuite dans les charges des copropriétaires privés, bailleurs sociaux et bailleurs institutionnels auxquels appartiennent ces immeubles.
Si l’on comprend bien que la puissance souscrite doive être fournie avant la signature du contrat à partir des seuls plans et caractéristiques thermiques de l’immeuble, on comprend moins bien que rien ne semble prévu pour en revalider la pertinence une fois la construction terminée. Une erreur peut en effet avoir des effets négatifs sur le prix de l’abonnement (si la puissance a été surévaluée), ou sur le bon fonctionnement du système (si la puissance a été sous-évaluée). Le bilan à date sur nos immeubles suggère que nous avons l’un ou l’autre de ces cas de figure sur au moins deux des immeubles de logements du Parc Habité raccordés à Thassalia.
Au prix de l’abonnement et de la consommation s’ajoute celui du compteur spécifique que cette énergie nécessite. En plus des habituels compteurs d’eau froide (dont le coût doit être pris en charge par le promoteur) et d’eau chaude, il faut en effet payer la pose, l’entretien et le relevé d’un compteur de calories. Dans une formule avec les compteurs en location, cela revient à environ 25 euros pour la pose et 55 euros par an par compteur pour le reste.
Autre dépense indispensable, celle de la maintenance de l’installation de la sous-station et du système de distribution du chaud (eau chaude et chauffage) et éventuellement du froid (“rafraîchissement”) dans l’immeuble, effectuée par un chauffagiste. Cette dépense ne peut cependant pas être considérée comme un surcoût lié à la géothermie puisque dans le cas d’une installation au gaz par exemple, il faut aussi payer l’entretien, et à terme le changement, d’une chaudière.
Une dépense initialement non prévue mais finalement indispensable est celle de l’audit de la sous-station et du suivi continu par un bureau d’études afin de vérifier son bon fonctionnement. Nos voisins des autres immeubles ayant été contraints de faire intervenir le bureau d’études après coup, nous avons essayé de devancer les problèmes qu’ils avaient eux-mêmes rencontrés en lançant l’audit avant la livraison de notre immeuble. Pour prévenir plutôt que guérir en somme… mais à ce stade il était en fait déjà un peu tard pour tout remettre d’équerre.
Je ne parle pas des frais engendrés par la vérification de l’installation de distribution, c’est-à-dire depuis la sous-station en sous-sol jusqu’aux appartements. Mais en cas de pannes ou anomalies à répétition ne venant ni de Thassalia ni de la sous-station, cet audit supplémentaire est nécessaire.
Sans oublier la consommation de l’eau (eau froide qui sera transformée en eau chaude) et de l’électricité liée au système car oui, la sous-station consomme de l’élec, beaucoup même… Vous aurez compris que le dit système est ainsi tellement complexe qu’il devient difficile d’en calculer le coût exact pour l’utilisateur final, pour ne rien dire des erreurs qui semblent également se produire sur la refacturation des consommations et des abonnements par les syndics aux copropriétaires. Il apparaît en tout cas qu’au moment de la régularisation des charges, la partie fourniture d’énergie soit généralement plus élevée que ce que que les propriétaires et locataires avaient l’habitude de payer dans leur ancien logement. On peut alors comprendre leur désarroi de voir ces charges augmenter alors qu’on leur avait promis très exactement le contraire.
Est-ce que ça marche ?
Du côté de la centrale Thassalia on observe très peu d’interruptions de service et sauf exception ces interruptions ont lieu dans le cadre d’interventions programmées et notifiées en amont aux habitants.
Les pannes et anomalies (notamment problèmes de température et de pression) liées aux sous-stations et aux réseaux de distribution des immeubles sont en revanche nombreuses. Il semble y avoir là un double problème : celui d’un possible choix par le promoteur entre une installation « a minima » et une installation optimale (devinez laquelle ils ont tous choisie…), et celui de la bonne construction de cette installation. A noter que ces anomalies peuvent également renchérir le coût des factures d’énergie.
Comme pour le reste des parties communes et privatives, lorsque nous nous étonnons auprès des promoteurs qu’ils aient réceptionné des équipements non conformes, nous nous entendons répondre qu’ils “ne peuvent pas tout voir”, ce qui ne fait rien pour arranger nos relations… ni faire revenir le chauffage et l’eau chaude.
En faisant une moyenne sur les immeubles du Parc Habité, je dirais que nous sommes sur un rythme d’environ une panne par mois par immeuble (plus dans certains, moins dans d’autres, et plus ou moins longues). A chaque fois nous avons trois hypothèses : soit ce n’est que dans un seul bâtiment, auquel cas c’est un problème de distribution, soit c’est dans un immeuble entier, auquel cas c’est un problème de sous-station, soit c’est dans tous les immeubles du quartier équipés en géothermie, auquel cas c’est un problème à la centrale Thassalia. Et voilà comment, peu à peu, nous avons tous aujourd’hui quelque chose d’un chauffagiste…
Cerise sur le gâteau, un audit mené fin 2019 sur une des sous-stations a révélé un risque de développement de légionelles, exigeant des mesures correctives immédiates. Peut-être devrons-nous donc aussi devenir laborantins pour en réchapper.
Combien de temps ça va durer ce binz ?
Pour les immeubles déjà construits, les problèmes dureront jusqu’à ce que les installations soient au niveau où elles auraient dû être à la livraison, et la question du dédommagement des habitants pour interruption de service, désagréments subis et surcoûts liés aux interventions des bureaux d’études commence à se poser sérieusement. Il sera en revanche difficile de parler de publicité mensongère quant au prix de cette énergie car sur les divers documents de promotion les avantages décrits se réfèrent principalement aux bénéfices environnementaux. Tout ce qui touche au coût final pour le client est prudemment tourné : « TVA réduite à 5,5 % sur le chaud », « plafonnement de la répercussion des hausses de l’électricité », « solution très économique dans la durée »,… La seule mention claire d’économie est celle de « 10 % moins cher sur le froid », ce qui ne nous fait ni chaud ni froid puisque les premiers immeubles d’habitation raccordés ne sont pas équipés en “rafraîchissement”. A voir si cette économie est confirmée pour les immeubles de bureaux et de services du quartier également raccordés à Thassalia (Docks Village, Euromed Center, hôtel Golden Tulip, “La Marseillaise”, Les Terrasses du Port…)
En ce qui concerne les derniers immeubles en construction du Parc Habité, gageons que les alertes lancées par les copropriétaires à Euroméditerranée depuis 2019 permettront de rectifier le tir – tant sur la qualité de la construction que sur la contractualisation et la pédagogie – avant que les futurs habitants ne subissent les mêmes désagréments et surcoûts que les anciens.
Un peu plus loin vers le nord et Euromediterranée 2, j’ai ouï dire que le système de l’autre centrale de thalassothermie, Massileo (qui appartient elle à EDF), était d’un fonctionnement encore plus complexe et ne donnait pas non plus grande satisfaction aux habitants de Smartseille. Espérons là aussi que les leçons en soient tirées afin d’améliorer la construction et le fonctionnement des installations présentes et à venir et de ne pas décevoir les futurs habitants, ni mettre leur santé en danger.
Mise à jour au 10 juin 2020
Suite aux sollicitations des utilisateurs du Parc Habité d’Arenc, Euroméditerranée s’engage à fournir une prestation de quatre ans qui comprendra, pour les bâtiments de logements du Parc Habité actuellement raccordés à Thassalia et ceux à venir :
- la réalisation d’un bilan des dysfonctionnements depuis l’échangeur Thassalia en passant par les sous-stations des immeubles ;
- l’analyse des contrats Thassalia afin d’identifier les limites de la prestation et les risques pour les différentes parties prenantes ;
- la réalisation d’un Cahier des Clauses Techniques Particulières (CCTP) type pour la sous-station, co-rédigé par Euroméditerranée et Thassalia (notamment sur la fourniture d’eau chaude sanitaire et les risques de développement de légionelle) ;
- le suivi des consommations pour chaque bâtiment.
Mise à jour au 4 novembre 2021
Comme le relate Marsactu, un taux de légionelle bien au-dessus des normes a été relevé presque deux ans après l’écriture de cet article, preuve que les actions d’Euroméditerranée auprès des promoteurs sont restées sans effet, au moins sur ce point.