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Commerces de proximité : pas si simple

Dans le travail de recherche que j’ai mené sur le périmètre du Parc Habité d’Euroméditerranée ces dernières années, le sujet des commerces de proximité est revenu comme un leitmotiv de l’insatisfaction des habitants. Si, comme toujours, enfoncer des portes ouvertes et tirer des conclusions hâtives est aisé, comprendre le « paysage » de ces installations l’est beaucoup moins.

Tour d’horizon

Relisant ce que j’ai écrit sur ce sujet il y a cinq ans, je m’aperçois que si mes habitudes personnelles n’ont pas drastiquement changé, l’offre commerciale s’est néanmoins améliorée.

Pour commencer par la très décriée rue de la République, les investisseurs semblent enfin avoir vu la lumière et s’être résolus à étoffer l’offre de bouche entre la place de la Joliette et le Monoprix et Picard existants. Un boucher puis un boulanger artisanaux ont notamment fini par émerger en 2021 : deux ouvertures aux allures de miracle et dont le succès ne s’est pas démenti depuis. Certes la qualité se paye, mais au moins nous avons désormais le choix entre industriel et artisanal, en fonction de nos possibilités financières du moment.

Plus haut vers Sadi Carnot, la rue a également repris des couleurs, au propre comme au figuré. Si le nombre de barbiers/coiffeurs/salons de beauté et assimilés peut surprendre, une forme de complémentarité autour de la thématique “maison” au sens large semble s’être installée aux abords de l’enseigne de Sophie Ferjani. Partout le long de la rue, l’incontournable restauration rapide n’est évidemment pas en reste, mais avec une attention portée aux devantures suffisamment rare pour être notée.

Grâce à l’énergie et à la persévérance d’une artisane boulangère motivée, un petit marché de producteurs a également pris place depuis 2019 tous les mardis à la Joliette. Pour un marché alimentaire complet, une bonne option reste le marché de l’avenue du Prado qui démarre à Castellane, ou le marché du cours Joseph Thierry aux Réformés, même si l’on pourrait évidemment souhaiter un jour ne plus avoir à faire des kilomètres son caddie à la main, fût-ce en tram…

Si les vitrines des Docks Village continuent à se dépeupler malgré l’arrivée des bureaux de Pernod-Ricard France et de ses activités “MX “, quelques bars-restaurants sympathiques se sont installés près du cinéma Pathé Joliette, venant agréablement compléter une offre de restauration rapide le long du passage Verneuil tout aussi pléthorique que celle des Docks et des Terrasses du Port.

Ci-contre : l’entrée principale des Docks Village ornée de ses magnifiques gaufres…

Le mieux ennemi du bien ?

Dans le Parc Habité stricto sensu, la plupart des rez d’immeubles neufs ont également enfin pris vie.

Il est intéressant ici d’observer que la “mécanique” de commercialisation de ces rez d’immeubles est différente de celle des lieux que j’ai cités plus haut. Les commerces, bureaux et logements ne sont en effet pas la propriété d’une poignée d’investisseurs mais d’une multitude d’acteurs. A commencer par des copropriétaires pas toujours d’accord pour laisser faire n’importe quoi dans les rez-de-chaussée de leurs résidences.

Dans beaucoup de cas, les promoteurs ont vendu le ou les locaux commerciaux en bas de l’immeuble qu’ils ont construit à un investisseur unique, charge à ce dernier de trouver des locataires ou des acheteurs des fonds de commerce. Un commercialisateur est généralement chargé de cette mission. Lorsque le local est loué, un intermédiaire se charge également de la gestion pour le propriétaire investisseur, comme le fait une agence pour un logement. Il s’agit donc d’une opération 100 % financière, avec de nombreux intermédiaires qui prélèvent chacun leur part et font grimper la facture. Problème supplémentaire, les premiers étages de ces immeubles étant généralement surélevés, les locaux commerciaux sont très hauts de plafond et donc coûteux à chauffer, à rafraîchir et à aménager par les preneurs (notamment lorsque sous des prétextes divers et variés, les promoteurs n’ont pas jugé bon de poser de vitrines).

Autant dire que ces acteurs sont davantage préoccupés par la réussite (ou l’échec) de leur business plan que par la cohérence et la qualité de l’offre commerciale du quartier – aussi cruciale soit-elle pour le développement du périmètre. Si cela n’a rien de vraiment surprenant, on pourrait souhaiter que les investisseurs s’assurent au minimum de la bonne compréhension des principes de copropriété et de vie au sein d’un même lieu par leurs preneurs. Et ici nous voyons absolument tout et son contraire : de ceux qui demandent une autorisation alors qu’ils n’en n’ont même pas officiellement besoin à ceux qui s’obstinent à ignorer toute réglementation, en passant par ceux qui reconnaissent leurs erreurs et font au mieux pour les réparer.
Sans parler des uns qui gèrent leurs déchets et des autres qui continuent à faire déborder nos containers ménagers. Mais la Métropole Aix-Marseille- Provence ne jugeant pas urgent de faire appliquer la loi, pourquoi diantre les mauvais élèves iraient ils faire du zèle…

Un soir de semaine comme les autres avant le passage des éboueurs… “Ôlé !”

L’Etablissement Public d’Aménagement Euroméditerranée (EPAEM) a quant à lui probablement pris le sujet de la qualité de l’offre commerciale en rez d’immeuble un peu à la légère, du moins dans la première phase de son programme.

Programmation initiale de commerces sur l’îlot 2B : une liste qui peut faire sourire au vu des réalisations effectives, même si trois de ces établissements ont effectivement fini par voir le le jour sur l’îlot. Source : agence BASE

Dans son rapport 2016-2021 sur l’EPAEM, la Cour des comptes ne se prive d’ailleurs pas d’enfoncer le clou.

Ci-contre : extrait du rapport de la Cour des comptes : L’Etablissement Public d’Aménagement Euroméditerranée, février 2022.

Certes, le cahier des charges de cession de terrain de la ZAC Cité de la Méditerranée de 2014 précisait bien que :

Lorsque tout ou partie d’un bâtiment sera affecté à des activités commerciales ou artisanales, l’acte de cession pourra, sous réserve des dispositions législatives en vigueur :

  • prévoir le nombre et la catégories des commerces ou activités artisanales, notamment pour les locaux en rez-de-chaussée d’immeuble,
  • imposer au cessionnaire de faire en sorte que le nombre ou la catégorie de ces commerces ou activités artisanales ne soient pas modifié pendant une certaine durée, fixée à l’acte de cession,
  • déterminer, s’il y a lieu, les conditions dans lesquelles pourront être modifiées les affectations du bâtiment au terme de la durée susvisée.

et que

L’EPAEM se réserve le droit d’imposer aux cessionnaires construisant les bâtiments destinés, en tout ou partie, à des commerces et activités artisanales, certaines modalités d’exploitation.
En ce cas, ces modalités seront définies dans les actes de cession ou dans un cahier des charges spécial concernant ces activités.

Mais à en croire certaines réalisations, on peut légitimement se demander quelles règles ont réellement été imposées aux cessionnaires et/ou quel contrôle a réellement eu lieu quant au respect de ces règles. Les promoteurs, fidèles à eux-mêmes, se sont pour leur part contentés de promettre la lune à qui a bien voulu les croire.

Bref, nous voilà une fois de plus chargés de nous dépatouiller avec le sujet.

Ci-contre : encadré d’un dossier de La Provence du 5 juin 2018.

"La Provence", 5 juin 2018.

Dans certaines résidences neuves, le règlement de copropriété coupe court, sinon aux travaux sauvages, du moins aux installations à fortes nuisances comme les restaurants. Le diable se cachant dans les détails, les autres activités ne sont cependant pas toutes anodines. En témoigne cette installation au rez-de-chaussée d’une résidence d’un “showroom de meubles artisanaux” qui s’avère finalement être un atelier de menuiserie-ébénisterie doté de puissantes machines-outils, dont les bruits et vibrations rendent les appartements du dessus inhabitables en journée. Dans le même esprit, les lâchers de barres de musculation viennent égayer le quotidien d’un autre bâtiment où s’est installée une salle de sport. Les ouvriers y ont par ailleurs provoqué une belle inondation en perçant une canalisation lors de leurs travaux. Sans que cette performance ne vienne toutefois égaler le branchement par un commerçant de l’évacuation de ses WC sur la conduite d’eaux pluviales d’une résidence, bricolage qui a permis entre autres choses de polluer durablement le bassin de rétention de l’immeuble.

Dans ce paysage pour le moins chaotique, les installations médicales et paramédicales ont évidemment la cote. Elles ont fleuri depuis 2022, dans le sillage tardif de la courageuse pharmacie “La Marseillaise” qui a essuyé les plâtres pendant des années, au propre comme au figuré.

Me retrouvant moi-même à vivre au-dessus d’un bar à chicha bruyant et odorant en lieu et place du cabinet de kinésithérapie annoncé par les promoteurs et qui figurait jusque sur la maquette du bureau de commercialisation, je ne peux qu’envier mes voisins d’à côté qui ont récupéré les paramédicaux. Mais, me direz vous, ces services ne sont pas vraiment source d’animation, ni prévus pour pouvoir y faire son marché.

Le mieux est-il alors l’ennemi du bien, et est-il préférable de se contenter d’activités libérales ou tertiaires plutôt que de risquer des nuisances pour les immeubles et pour le quartier ? Quel modèle adopter pour satisfaire aux exigences des uns et des autres, sachant que les copropriétés doivent elles aussi savoir faire preuve de souplesse lorsque – qui l’eût cru – certaines réglementations se contredisent totalement ?

Au vu du succès d’une supérette installée en 2020 boulevard Mirabeau et qui ne désemplit pas depuis, tout en entretenant des relations exemplaires avec la copropriété, on a un début de réponse, et surtout la preuve que le “donnant-donnant” est une fois de plus la meilleure solution.

Ci-contre : encadré d’un dossier de La Provence du 5 avril 2021.

"La Provence", 5 avril 2021.

A ce propos, saurez vous repérer l’erreur sur “l’emplacement livraison” promis à ce commerçant ?…
Et oui, il semble que lors de la mise en place de ce stationnement il y a deux ans, il ait manqué un bout de panneau et un pot de peinture jaune et que rien n’ait bougé depuis.
Pas si simple !

2 réponses sur « Commerces de proximité : pas si simple »

Encore un article bien informé et très éclairant, un regard critique mais constructif, c’est si rare ! Merci Claire !

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