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Habiter, c’est s’impliquer

Marseille a cette particularité – entre autres – d’être une ville où l’implication citoyenne est extrêmement forte. La raison majeure en est (malheureusement) assez simple, comme l’expliquait fort bien @Blaah dans l’Agora de Marsactu en novembre dernier : « Nombre de Marseillais n’ont jamais attendu que la ville s’écroule pour se prendre en main, tout simplement parce qu’il s’agissait de la seule alternative à l’invisibilité des pouvoirs publics. Pour ne parler que de l’année écoulée, ce sont ces militants qui vont, truelles et pinceaux en main, repeindre eux-mêmes une école délabrée. Ce sont ces parents qui, lassés d’attendre une réponse de la voirie, achètent et installent eux-mêmes un ralentisseur. Ce sont les associations parfois alliées de la tambouille municipale, mais aussi et parfois seules actrices du lien social dans certains quartiers. C’est la débrouille et l’improvisation quotidiennes de part et d’autre de la ville, pas parce que ça fait bien, pas parce que c’est militant, mais tout simplement parce qu’ici, on n’a pas le choix. Imposée par des années de désintérêt réciproque entre les habitants et les institutions publiques, cette vie sociale parfois à la lisière de l’autogestion est une richesse paradoxale, et en tout cas un trésor que bien d’autres collectivités en manque de démocratie participative pourraient nous envier. »

Une manifestation du Syndicat des Poussettes Enragées devant la mairie fin 2018

On pourra toujours dire que la forte implication de ce tissu citoyen, collectif et associatif, plus ou moins informel, peut encourager la puissance publique à agir mais aussi l’inciter à se décharger de certaines des responsabilités qui lui incombent, quitte à distribuer quelques subventions. Etant davantage partisane du faire que du laisser-faire, je pense que l’implication citoyenne ne peut être que positive mais qu’il est grand temps qu’elle soit reconnue à sa juste valeur. En toute logique, puisque les citoyens font souvent « à la place de », ils méritent aussi une place à part entière au sein des dispositifs de gouvernance municipaux.

Extrait d’un panneau de restitution dans le cadre d’une formation sur l’habitat indigne ouverte à tous
organisée par l’association “Architectes Sans Frontières” Marseille
en mars 2019

Reste que pour un nouvel habitant du quartier, il est assez difficile de se repérer dans la multitude de structures qui peuvent lui permettre de se renseigner, proposer, débattre et agir sur tous les sujets qui concernent son cadre de vie. Dans mon dernier article de 2018 je vous avais promis d’y revenir : dont acte avec ce petit tour d’horizon, sommaire et non exhaustif, mais qui vous donnera néanmoins quelques repères.

Article paru dans “La Provence” le 20 janvier 2019

Première surprise du nouvel arrivant, prononcez « CIQ » (pour « Comités d’Intérêt de Quartier ») à Marseille, et tout le monde rigole ou presque.
Ça commence mal, non ?
Certes le terme apparaît à Marseille au XIXe siècle, ce qui peut sembler un peu ancien au vu des mutations de la ville depuis. Mais en dehors de leur ancienneté, ce sont surtout les (trop bonnes ?) relations de certains de ces CIQ avec les élus qui semblent poser problème à bon nombre d’habitants. Regroupés en 1924 en fédérations d’arrondissements, puis en une confédération de Marseille et des communes environnantes comptant 262 CIQ, aujourd’hui rebaptisée « Confédération des CIQ de Provence », ces associations loi 1901 n’en restent pas moins le maillon officiel entre les habitants d’un quartier et les décideurs.
Pour ne parler que des 2e et 3e arrondissements, ces derniers comprennent respectivement huit et cinq CIQ, sachant qu’il n’est pas interdit de rejoindre un CIQ adjacent au sien, l’important étant de s’y sentir à l’aise. Après quelques hésitations j’ai tenté l’expérience et me suis retrouvée dans une configuration quelque peu différente de ce que j’avais imaginé à force d’entendre les uns et les autres ricaner, à savoir un CIQ accueillant les nouvelles têtes à bras ouverts et sans a priori, et qui n’appartient qu’à un seul « camp » : celui des habitants de son secteur. Certes ce positionnement nous oblige à aller à la pêche aux infos et à nous égosiller pas mal sans garantie d’être entendus, mais à force de ne rien lâcher, on finit par obtenir quelques résultats.

Je vous dis aussi un mot des Conseils de Quartier, mais bien qu’obligatoires pour les communes de plus de 80 000 habitants, tel qu’énoncé dans la loi de 2002, ils n’ont toujours pas été mis en place à Marseille. On comprend aisément que cette application de la loi entraînerait une transformation importante des CIQ, tant en termes de périmètres que d’organisation, mais après un siècle d’existence, le temps est peut-être enfin venu, justement, de les transformer.

Les Conseils Citoyens, eux, existent bien. Instaurés en 2014 pour favoriser l’expression de la parole des habitants des quartiers prioritaires, on en dénombre 10 à Marseille, dont un dans le 2e et un dans le 3e arrondissement. Leur mise en route n’a cependant pas été facile du fait du manque de candidats, alors qu’il s’agissait précisément de donner la parole à une population plus large que celle des habitués du débat citoyen. En cause notamment un mode de recrutement très (trop ?) cadré et restrictif. La prolongation du récent appel à candidatures pour le renouvellement partiel de ces conseils me fait dire que ce problème n’est toujours pas réglé. Il existe également quelques questionnements auxquels la Métropole s’efforce de répondre, notamment sur de possibles doublons avec les actions menées par les CIQ.

Portées par la Fédération des Centres Sociaux et la Coordination « Pas Sans Nous », les tables de quartiers sont également en cours de développement dans certains quartiers prioritaires. Elles fonctionnent comme des collectifs d’habitants et d’associations qui agissent à une échelle très locale (une rue, une résidence, un petit périmètre…) pour améliorer la vie d’un quartier, en partant de l’expérience et des problématiques des habitants. En 2018, la Ligue de l’Enseignement des Bouches-du-Rhône, l’association Pas Sans Nous 13, et l’Union des Centres Sociaux 13 se sont associées pour proposer un projet de développement des tables de quartiers à Marseille. Il en existe aujourd’hui 11, dont deux viennent de démarrer dans le 3e arrondissement (l’une dans le quartier du Racati et l’autre dans celui de Fonscolombes).

Parmi les structures moins institutionnelles, on trouve des associations et collectifs citoyens, souvent très dynamiques. Créés la plupart du temps en réponse à un problème particulier, ils ne se contentent cependant pas de faire remonter leurs doléances mais travaillent de manière plus globale et plus constructive à l’amélioration de la vie des usagers d’un lieu, d’un quartier, voire de la ville en général. Ce sont eux que l’on retrouvera souvent sur le terrain – avec des couleurs politiques plus ou moins prononcées, et coordonnés ou pas avec les autres structures – en train de se battre, pour les personnes délogées, pour une politique urbaine plus juste, pour la rénovation des écoles… ou – si je prends un exemple plus spécifique au quartier – pour améliorer le cadre de vie des habitants dans un périmètre donné. Il existe également nombre de plus petits groupes de citoyens, formels ou informels, mobilisés autour d’un sujet ou d’un projet, comme celui du collège Versailles, ou ceux qui mènent des actions telles que décrites dans la citation en ouverture de cet article.

Rien qu’avec ce rapide tour d’horizon, on s’aperçoit que les structures s’empilent et qu’il est difficile de discerner une logique d’existence et d’efficacité de l’ensemble. Sans être ni de tous les combats ni de toutes les causes, je considère néanmoins toutes ces instances comme des ressources précieuses. Dans la majorité des cas, nul besoin en effet d’être membre officiel de quoique ce soit : venir, écouter, et le cas échéant questionner, voire participer, sont choses faciles et essentielles à la compréhension du nouvel environnement dans lequel nous habitons. La suite n’est que fonction des disponibilités, des affinités et des envies de chacun, ma seule certitude étant que la puissance publique est responsable — voire coupable — de beaucoup de choses et qu’il faut la faire bouger, mais que la fabrique du quartier, elle, appartient avant tout à ses habitants.

Liens utiles :
Liste des CIQ des 2e et 3e arrondissements
(rapprochement des CIQ « République » et « Vieux-Port » en cours).
Pages d’informations détaillées sur les conseils citoyens marseillais.
Liste de toutes les associations membres de la Cité des Associations (recherche possible par arrondissement).