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En bandes organisées (3/3) De la négociation

Promoteurs, syndics et bailleurs tentaculaires… Ce récit n’a pas vocation à taper plus particulièrement sur les uns ou sur les autres – d’autant qu’il existe chez ces acteurs des personnes sincèrement soucieuses de préserver l’intérêt commun de nos copropriétés. Nous pensons néanmoins qu’il faut cesser de ramener ces sujets à des cas isolés alors qu’il s’agit d’un mode de fonctionnement national, parfaitement légal mais qui désavantage d’entrée les copropriétaires individuels.

Lors de l’épisode précédent, nos quatre résidences ont toutes élu un nouveau syndic à la place du syndic-promoteur initial. Le verdict de la première année après ce changement est clair. D’un côté les copropriétés des résidences 1 et 2 ont commencé à remonter la pente et souhaitent conserver leur syndic. De l’autre, les résidences 3 et 4 ne voient pas le bout du tunnel et les copropriétaires individuels souhaitent à nouveau remettre leur syndic en concurrence.

Dans un article de 2018, l’Association des Responsables de Copropriétés (ARC) pointait les problèmes de gestion générés par des copropriétés uniques mixtes dans lesquelles les bailleurs sociaux étaient majoritaires. « Cela entraîne un sentiment de dépossession et donc de démobilisation des copropriétaires individuels », indiquait-elle alors. A la suite d’une phase de médiation entre le bailleur et ces copropriétaires, elle jugeait « essentiel de mettre en avant l’intérêt pour le bailleur social de prendre en compte les autres copropriétaires, même minoritaires, afin de garantir une bonne gestion et un vivre ensemble favorable au bon entretien de la copropriété et donc à la prévention des risques de dégradation. » Depuis, le modèle des résidences de mixité sociale programmée s’est largement développé, incluant en outre des investisseurs/bailleurs institutionnels.

Quatrième volet du système : nous allons voir que le même genre de problèmes que ceux évoqués par l’ARC se sont étendus à ces résidences. Gardons aussi en mémoire le volet 1 expliqué dans la première partie de cette série : une majorité arithmétique de copropriétaires individuels, même quand elle existe, peut très bien n’être qu’une majorité de façade.

Stratégies de combat

Après une série d’échanges fournis avec leurs voisins des résidences 1 et 2, les conseils syndicaux des résidences 3 et 4 vont décider à la majorité de faire inscrire à l’ordre du jour de leur prochaine assemblée générale la remise en concurrence de leur syndic actuel avec le syndic sD. Les bailleurs B3 de la résidence 3 et B5 de la résidence 4 sont contre, mais cette remise en concurrence du mandat du syndic à son expiration est de toute manière obligatoire. Comme beaucoup d’autres obligations légales en copropriété, son non-respect n’est cependant sanctionné par rien ni personne.

Dans la résidence 3, le mandat du syndic sE (entretemps fusionné sous la même bannière que le syndic sF de la résidence 4) va expirer sans que ce dernier n’ait convoqué l’assemblée générale malgré les demandes répétées du conseil syndical. Le syndic sE prétend que cette non-convocation est un ordre du bailleur B3, ce que le bailleur en question dément. Toujours est-il que la loi est très claire  : dans ce cas, une assemblée générale peut être convoquée par n’importe quel copropriétaire à la seule fin de nommer un syndic. J’entends déjà les ricanements de ceux qui connaissent un peu ces sujets : un copropriétaire ne peut pas convoquer tout seul une assemblée générale dans une grosse résidence aussi complexe…
Eh bien moi si.

A réception par tous de cette convocation que j’envoie donc à l’ensemble des propriétaires, mes oreilles cornent autant que les coups de fils des uns aux autres qui fusent immédiatement derrière mon dos, dont un du bailleur B3 au syndic sD. Entretemps j’ai pris ma plus belle plume et le brin d’énergie qui me reste pour essayer de convaincre ce bailleur que notre copropriété a tout à gagner d’une gestion collégiale et tout à perdre d’une cogestion bailleur-syndic. Ceci est d’autant plus grave qu’au fil des manquements des syndics successifs « la situation de la copropriété est catastrophique » et qu’elle « entre dans la catégorie des copropriétés en difficulté », comme nous l’indique notre conseil AFCopro lors du contrôle de nos comptes 2020-2021.

Lors de la troisième AG, la résidence 3 change pour la troisième fois de syndic, tandis que la résidence 4 se voit privée de ses droits de pouvoir en élire un nouveau.

Miracle de la communication, je suis entendue par le bailleur avec je pense attention, sinon enthousiasme. Finalement nous réussissons à mobiliser 63 % des copropriétaires individuels (un record) dont 60 % sont pour l’élection du syndic sD. Le bailleur B3 vote lui aussi pour, le syndic sD est élu à la majorité absolue et nous repartons sinon main dans la main, du moins sur des bases acceptables pour toutes les parties.
Reste à récupérer du syndic sE les archives de la copropriété, ce qui aux dernières nouvelles va encore être une franche partie de rigolade…

Dans la résidence 4, l’issue va être moins favorable. Le syndic sF va en effet convoquer l’assemblée générale annuelle mais se dispenser d’y inscrire la candidature du syndic concurrent sD (pourtant bien transmise en recommandé par le conseil syndical), prétendant qu’il n’a pas reçu le document à temps : on n’est jamais si bien servi que par soi-même…
Puis, malgré le fort pourcentage de propriétaires individuels, dont 56 % sont présents ou représentés, il va profiter des votes par correspondance (VPC) rassemblés par le gestionnaire locatif de l’agence F et du vote du bailleur B5 pour se faire réélire.
A l’issue de cette assemblée générale, il aura également organisé avec succès la non-reconduction du mandat du président du conseil syndical qui lui tenait tête. En signe de protestation, le reste du conseil syndical démissionnera lors de cette même assemblée. Cette résidence est donc aujourd’hui gérée par le syndic sF et le bailleur B5.

Ci-contre : Alors que les copropriétaires individuels représentent pourtant 69 % des voix de la copropriété, il aurait fallu 20 % de plus de participation de ces copropriétaires pour espérer réunir suffisamment de “Contre” et évincer le syndic sF.

Le saviez-vous ?
Comment peut-on détenir 69 % des voix d’une copropriété et se faire imposer la réélection d’un syndic ?
– Le bailleur B5, qui comme dans la résidence 3 est favorable au syndic alors en place, leur amène 24 % de l’ensemble des parts de la copropriété.
– Le gestionnaire locatif de l’agence F a récupéré de ses clients 14 % de votes « Pour » la reconduction du syndic sF.
– 56 % des copropriétaires sont présents ou représentés, mais parmi eux se trouvent ceux dont le gestionnaire locatif détient les votes « Pour » énoncés ci-dessus.
Avec 24 % + 14 % = 38 % des voix au premier tour, le syndic sF ne peut être élu à la majorité absolue mais peut faire jouer l’article 25-1 qui permet de procéder immédiatement à un deuxième vote, celui-ci à la majorité simple.
– Les 38 % de votes « Pour » à la majorité absolue se transforment en 61 % de votes « Pour » à la majorité simple.
Et là vous êtes cuits, même si tous les copropriétaires individuels hors ceux du gestionnaire locatif votent « Contre » la réélection du syndic sF.
Pour gagner il vous aurait fallu non pas 56 % mais 76 % de propriétaires individuels présents et représentés, ce qui est dans notre expérience mission impossible.

Qui perd, qui gagne ?

Ces diverses façons d’agir envers les copropriétaires individuels sont passées dans les mœurs. C’est ainsi que j’en reviens à mon propos initial : nous ne sommes pas face à des petites « histoires de copros », mais face à un système organisé et généralement toléré par nos braves institutions.
Tout est alors question d’identifier les marges de manoeuvre et les éventuels points positifs.

PERDU – Il est clair que les règles de vote en copropriété défavorisent les copropriétaires individuels de ces ensembles mixtes. Ici aucun point positif, nous avons la loi contre nous et la lourdeur et la lenteur du traitement des recours n’aide pas. Par exemple, contester la décision de l’élection du syndic sF dans la résidence 4 pour absence d’inscription du mandat concurrent à l’ordre du jour aboutirait peut-être au bout de… deux ans, soit après l’expiration du mandat actuel du syndic sF. Sans parler des moyens humains et financiers des copropriétaires individuels, évidemment ridicules par rapport à ceux des organisations auxquels ils font face.

PERDU ou GAGNÉ – Que dire alors des recours à l’encontre des promoteurs, qu’ils soient exercés individuellement ou collectivement ? Que dire des « syndics-promoteurs » qui cherchent à en minimiser le nombre ? La première chose à faire est en tout cas de regarder ce qu’on peut y gagner ou y perdre financièrement. Comme l’application de la loi est là aussi « bien » faite, sauf en cas de désordres importants il y a généralement plus à perdre qu’à gagner dans une procédure. Inversement, le fait que trois de nos résidences sur les quatre aient déclenché ces procédures témoigne de l’importance des désordres en question. Et si rien n’est encore totalement résolu, certains d’entre nous ont déjà gagné quelques manches.

PERDU ou GAGNÉ – J’ai détaillé dans ce récit l’immixtion d’une agence immobilière dans le choix du syndic en assemblée générale, aux fins de s’auto-désigner. Si cela est je le répète inacceptable, j’y apporterai un bémol en ce qui concerne d’autres décisions que celles du choix du syndic. Admettons – puisque cela est possible – que l’agence immobilière soit compétente et soucieuse des intérêts de la copropriété, elle pourra peut-être expliquer à certains de ses clients pourquoi il faut arrêter de voter « Contre » à chaque fois qu’ils entendent le mot « travaux », et cela rendra cette fois-ci un grand service à la résidence.

PERDU ou GAGNÉ – Le comportement de certains bailleurs sociaux et institutionnels, c’est en quelque sorte ma « surprise du chef » de cette année passée. La bonne quand j’ai vu 1001 Vies Habitat réussir son pari à Smartseille, dans des conditions pionnières pourtant difficiles. La mauvaise quand j’en ai vu d’autres ici traîner des pieds pour payer leurs charges, avec toujours une bonne excuse alors qu’un copropriétaire individuel n’en n’a quasiment aucune s’il ne paye pas les siennes. Je sais pertinemment que les uns ne sont pas complètement bons et les autres complètement mauvais, que tous privilégient la facilité de gestion, les accords entre fonds d’investissement et autres communautés, qu’il y a aussi des questions de personnes, plus ou moins à l’écoute de l’intérêt général, plus ou moins en capacité d’être autre chose qu’un bon petit soldat aux ordres de sa direction et prêt à marcher sur nos têtes. Reste qu’un bailleur qui ne joue la carte de la mixité que pour les avantages qu’il peut en tirer, et au détriment des autres propriétaires, est encore plus impardonnable qu’un promoteur (au moins ceux-là ne se posent pas en bienfaiteurs de l’humanité, quoique…).

En résumé, tout n’est pas perdu mais rien n’est gagné.

Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Il serait injuste de conclure cette longue série sans une petite (auto)critique à l’attention de la communauté des copropriétaires individuels. Certes on leur a vendu du neuf qui devait leur éviter les soucis de l’ancien, certes on leur a vendu – pour les investisseurs – un produit qui devait leur rapporter sans qu’ils n’aient à s’occuper de rien. Mais une fois que l’on sait que tout ne va finalement pas se passer comme prévu, il serait peut-être temps pour certains de comprendre qu’un logement – qu’il les héberge eux ou leurs locataires – nécessitera toujours un minimum d’attention. Remercions donc d’avance les 20 % de copropriétaires supplémentaires qui ont tant manqué à la dernière assemblée générale de la résidence 4 et seront à n’en pas douter présents à la prochaine.

Au registre des solutions, faudrait-il un « permis d’acheter », pour obliger les uns à se concentrer avant de signer et les autres à cesser de prendre les acheteurs individuels pour des ânes ? Faudrait-il organiser un courtage de syndics en amont de la première assemblée générale, comme cela commence paraît-il à se faire, afin d’essayer de mettre fin à ce système de syndics-promoteurs si délétère pour les copropriétés ? Pourrions-nous aussi instituer des modalités de vote plus équitables afin de favoriser le bon fonctionnement des copropriétés mixtes – à mon sens plus vertueuses et moins complexes que les ensembles en volumes séparés et ASL ? Ou pourrions-nous simplement compter, comme cela a été le cas dans la résidence 3, sur un effort mutuel de chacun afin de préserver les intérêts de la copropriété – qui sont sur le long terme notre intérêt à tous et celui de notre quartier ? La route est longue mais nous ne devons en tout cas pas nous résigner, la preuve : parfois même, on est entendu.

Notre force enfin est que nous sommes et resterons solidaires entre résidences, partageant nos manières de faire et les réussites ou échecs qui les accompagnent. Nous partageons aussi nos “bonnes et mauvaises adresses”, et quelle que soit la suite de nos (més)aventures, il nous sera toujours agréable de voir le champ des premières s’étendre et celui des autres se rétrécir.

3 réponses sur « En bandes organisées (3/3) De la négociation »

Merci pour ces articles, merci pour leur clarté, merci pour l’energie que vous déployez inlassablement. Le regroupement de résidents des divers immeubles est , à mon sens, la garantie d’une évolution harmonieuse de nos quartiers. …

Merci à vous. Vous avez parfaitement raison, l’isolement est toujours une faiblesse. Il n’y a qu’ensemble qu’on peut détourner les vents contraires.

Propriétaire aux Docks libres, je’espere que le conseil syndical lira vos articles, en tout état de cause je vais leur faire passer…

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