Que vous soyez nouveau ou futur habitant de la partie d’Euroméditerranée qui s’étend sur le front de mer du Mucem au môle de la Madrague, vous avez ou allez souvent entendre parler de la pollution générée par les navires du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM), car c’est à juste titre un sujet qui préoccupe les riverains.
Les bassins Est du GPMM occupent de fait toute cette partie du bord de mer et au-delà jusqu’à l’Estaque, et accueillent diverses activités de transport de marchandises et de passagers ainsi que de réparation navale. Les bassins Ouest se situent au-delà, tout autour du golfe de Fos-sur-Mer.
Etablissement public national à caractère industriel et commercial, le GPMM est responsable de la gestion de l’ensemble du domaine public maritime qui est le sien. Il est piloté par un Directoire de trois personnes et un Conseil de Surveillance où siègent cinq représentants de l’Etat, quatre représentants des collectivités, trois représentants du personnel de l’établissement public et cinq personnalités qualifiées choisies pour leurs compétences dans les activités intéressant les ports. C’est donc là que se prennent les décisions, y compris en matière de respect des enjeux environnementaux. Bref si vous aviez déjà du mal à vous y retrouver entre ce qui est de la responsabilité de l’Etablissement Public d’Aménagement Euroméditerranée, de la Ville de Marseille, de la Métropole Aix-Marseille Provence, du Département des Bouches-du-Rhône ou de la Région Sud, vous pouvez ajouter le GPMM à la liste 🙂
Ces enjeux environnementaux deviennent d’autant plus prégnants que le trafic s’intensifie d’année en année, au niveau des marchandises (81 MT en 2018 / +1 %) et surtout au niveau des passagers (3 M en 2018 / +11 %), et que les projets en cours, dont celui de la restructuration du terminal passagers du Cap Janet, devraient venir conforter ce dynamisme.
Pour ne parler que du seul sujet de la santé des riverains des bassins Est, il s’agit de diminuer les rejets toxiques émis par les navires lorsqu’ils font tourner leurs moteurs à l’arrivée, au départ, ou lorsqu’ils sont à quai et font fonctionner leurs générateurs. En cause principalement le dioxyde de souffre (SO2), le dioxyde d’azote (NO2), et les particules ayant un diamètre inférieur à 10 micromètres (< 10 µm / PM10), sachant que les plus nocives sont celles issues de la combustion, qui ont un diamètre inférieur à 2,5 µm, voire à 0,1 µm (particules ultra-fines). Les risques sont ceux liés à la pollution de l’air, à présent largement démontrés dans de nombreuses études : augmentation de certains types de maladies cardiovasculaires, respiratoires, neurologiques, de certains cancers, et même du diabète de type 2.
Bien sûr la pollution de l’air générée par les navires n’est pas seule en cause, qui plus est dans une zone où le trafic routier est particulièrement dense. Atmo Sud, l’association en charge de la surveillance de la qualité de l’air en Région Sud, travaille depuis de nombreuses années à mesurer la contribution des activités portuaires à cette pollution. Une nouvelle étude est en cours dans les ports de Marseille (Bassin Est, Mourepiane), de Nice et de Toulon. Nombre d’associations environnementales et de riverains sont également mobilisées sur ce sujet, tout comme les Comités d’Intérêts de Quartier concernés.
Réponses
Fort heureusement des solutions existent, mais comme souvent elles sont coûteuses pour les principaux responsables. Même si les contraintes techniques sont nombreuses, leur mise en place (ou absence de) relève donc principalement de considérations économiques et d’une logique coûts vs bénéfices.
En devenant plus contraignante, la législation permet de forcer la main à ceux qui hésitent toujours à rendre leurs bateaux plus propres, mais elle doit encore évoluer et être appliquée partout. Les avancées les plus récentes en la matière concernent la teneur en soufre des carburants des navires. La majorité d’entre-eux utilisent en effet du fioul lourd, un produit issu de la distillation du pétrole brut, peu onéreux mais très visqueux et très chargé en dioxyde d’azote, en particules, et surtout en dioxyde de soufre.
– A ce jour, en Méditerranée, la teneur en soufre autorisée en mer est de 3,5 % pour les navires de marchandises (soit 3 500 fois plus que le diesel automobile) et de 1,5 % pour les navires de passagers. Pour les navires à quai stationnant plus de deux heures elle est de 0,1 %, obligeant alors ces derniers à utiliser un gazole marin, environ deux fois plus cher.
– En janvier 2020 le seuil maximal autorisé en navigation passera à 0,5 % partout. Exit le fioul lourd : les navires devront utiliser un fioul à faible teneur en soufre. Cependant ce fioul à 0,5 % n’existe pas encore et les raffineurs le jugent d’ores et déjà impossible à produire en quantité suffisante.
– Dernier développement en date, la France a présenté à Marseille ce 18 janvier les résultats de son étude d’impact ECAMED destinée à convaincre les autres pays concernés de mettre en place en Méditerranée une zone internationale de limitation de la pollution des navires (ou ECA pour « Emission Control Area »). De telles zones sont déjà en place au Canada, aux Etats-Unis, en Manche-Mer du Nord et dans la Baltique. Obligation y est faite aux navires d’utiliser du carburant à 0,1 % de teneur en soufre (qui lui existe) et de s’équiper de moteurs émettant moins d’oxydes d’azote. Le dossier doit être déposé en 2020 auprès de l’International Maritime Organization (OMI) avec le plus grand nombre de pays méditerranéens possibles, en espérant une adoption de la mesure en 2021 et son application en 2022.
En matière de carburants, la solution idéale reste néanmoins le Gaz Naturel Liquéfié (GNL). Il permet en effet d’éliminer la quasi-totalité des émissions de soufre et de particules et de réduire de plus de 80 % les émissions d’oxydes d’azote des navires par rapport au fioul lourd. Sa combustion n’émet en outre ni suie, ni poussière, ni fumée. Cette solution nécessitant cependant un changement complet de motorisation, elle concerne plutôt les navires neufs ou en construction. En décembre dernier la CMA-CGM a pris livraison de son premier porte-containers propulsé au GNL, et nombre d’armateurs de bateaux de croisière vont également opter pour cette solution sur leurs nouveaux paquebots. Côté avitaillement, le GPMM est plutôt bien placé avec la proximité des terminaux méthaniers de Fos Cavaou et de Fos Tonkin et s’est formellement engagé à développer le GNL comme carburant marin.
Pour ce qui est des navires existants il n’y a donc pas pléthore de solutions, sauf à passer à un carburant plus cher qui pourrait mettre en danger la viabilité de certains armateurs. Des « scrubbers » qui lavent les gaz d’échappement sont de plus en plus employés, avec plus ou moins d’efficacité. Il y a là un petit côté “emplâtre sur une jambe de bois”, et reste également à savoir comment les eaux sales issues de ces lavages sont vraiment retraitées et parfois évacuées en mer (dans le système le moins performant, dit en “boucle ouverte”, cf. schéma). La Méridionale expérimente cependant cette année un nouveau filtre dont elle espère qu’il sera suffisamment efficace pour l’aider à satisfaire à la réglementation 2020.
Enfin vous entendrez souvent parler ces temps-ci de « branchement des navires à quai » ou « connexion électrique des navires à quai » (CENAQ), une solution qui n’a plus rien à voir avec le type de carburant puisqu’il s’agit ici de prendre l’électricité sur le port au lieu de la produire en faisant tourner les groupes électrogènes des navires. Fini la pollution mais aussi le bruit et les vibrations des navires à quai et la suie qui s’entasse sur les balcons des riverains. Simple ? Oui et non car les bateaux équipés (La Méridionale et Corsica Linea, CTN en discussion, certains paquebots de croisière) n’ont pas tous les mêmes besoins ni les mêmes caractéristiques techniques. Le GPMM doit donc pouvoir proposer à chaque type de navire les branchements dont il a besoin en termes de fréquence et de puissance électriques. A ce jour les quais accueillant les ferries pour la Corse et la Sardaigne sont équipés ou en passe de l’être. Des branchements sont aussi prévus dans le futur nouveau terminal du Cap Janet et plus au nord sur les quais réservés aux navires de croisière. Une première avancée pour notre santé, qui nous l’espérons ne sera pas la dernière 😉