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Ville de demain : le grand écart (1/2)

Illustration : “Salvatoria, ville de l’après troisième guerre mondiale” – dessin d’Amaëlle Kelfoun, classe de 5e, Ceyrat (Puy-de-Dôme) pour le concours de cartographie imaginaire “Habiter la ville de demain”

L’idée de ce billet m’est venue il y a un mois, lors d’un séjour au Japon où je constatai qu’il n’y avait pas de déchets par terre, mais pratiquement pas de poubelles non plus dans l’espace public. Cela renforçait ma conviction que la ville (propre) de demain n’était décidément pas qu’une question de gros sous et d’innovation, et qu’il serait peut-être intéressant de me pencher de manière plus générale sur ce sujet de la « Ville de demain », dont les habitants et futurs habitants d’Euroméditerranée ont quasiment tous entendu parler à un moment ou à un autre.

Gare Kyoto
La gare de Kyoto signée par l’architecte Hara Hiroshi : porte d’entrée futuriste de la ville historique du Japon

Revenue de ce voyage le 5 novembre, en plein fracas de la rue d’Aubagne, mon sujet m’apparaissait d’un coup totalement incongru : grand écart entre la réalité marseillaise du moment et la modélisation d’un futur urbain trop éloigné. De fait, un trop grand écart entre ce que la puissance publique projette de l’avenir aux habitants et leur réalité quotidienne, suscite dans le meilleur des cas leur intérêt poli, dans le pire cette colère noire que leur ville ait ainsi l’air de « passer à autre chose » sans avoir résolu le quart de la moitié des problèmes que eux rencontrent chaque jour dans leur quartier.

Smartseille 24 h
La plaquette “Smartseille” d’Eiffage en 2015 : une vie connectée jusqu’à en devenir… déconnectée ?

J’ai finalement décidé d’attendre un peu mais de ne pas laisser tomber le sujet pour autant : à l’heure où les immeubles de notre ville d’aujourd’hui s’écroulent, et même s’il est sans doute plus que jamais difficile aux citoyens que nous sommes de saisir le sens de cette Ville de demain, il nous appartient aussi de participer à sa (re)définition et d’aider à le clarifier. L’écart est bien là mais nous avons un rôle actif à jouer pour le réduire.

Voici donc en deux volets quelques-unes de mes réflexions à date sur ce sujet. Tantôt généralistes et tantôt appliquées au quartier Euroméditerranée, qui se pose en future vitrine de « ville durable méditerranéenne de demain ».

Tout d’abord, de quoi parle-t-on ? D’une ville « durable », « intelligente/‘Smart’ » ? D’une « ville du futur/de l’avenir» ? D’une « ville rêvée/idéale » ?… En dehors du terme « durable » tel qu’il est entendu dans « développement durable » , il n’existe pas vraiment de consensus sur toutes ces dénominations. Tout ce que l’on peut dire c’est que cette Ville de demain – qu’on la nomme ainsi ou autrement – a une connotation plutôt positive. Et la méthode – même si elle reste sous-tendue par les évolutions et les intérêts financiers liés au numérique – a également tendance à s’humaniser, de gré ou de force… jusque chez Google : « Quels défis urbains sont les plus urgents ? Où la technologie peut-elle s’avérer utile pour trouver des solutions et où n’est-elle pas le bon outil ? Lesquelles de nos idées sont formidables, lesquelles sont folles et à côté de quoi sommes-nous passés ? » peut-on lire dans leur appel au public à participer à la construction du nouveau front de mer de Toronto, appel réitéré sur le site dédié du projet (ces supports n’existant malheureusement qu’en anglais : une incitation à utiliser Google Translate…).

En allant plus loin, on s’aperçoit qu’il y a moyen de dégager des tendances de fond mais qu’en dehors de cela chacun a sa définition de la Ville de demain selon son lieu d’habitation, son âge, sa situation personnelle et professionnelle, ses conditions et moments de vie… qu’aucune n’est plus « vraie » ou « fausse » qu’une autre, et que par conséquent aucune ne peut faire l’unanimité, ce qui donne une première idée de la complexité de la tâche des aménageurs.

Ville de la Paix
“La ville de la paix, une ville sans pollution, où on ne se bouscule pas” – dessin de Lisa Paimparé, classe de 6e, Gennes (Maine-et-Loire) pour le concours de cartographie imaginaire “Habiter la ville de demain”

L’exemple qui m’a le plus marquée en effectuant quelques recherches sur la perception de cette Ville de demain est la « Cartographie imaginaire de la ville de l’avenir » dressée en 2016 par des enfants ayant participé à l’opération organisée par l’association « Cartographier au collège ». C’est l’animateur des ateliers, Philippe Rekacewicz, qui en parle le mieux : « Tou·te·s les élèves, c’est sans doute le plus touchant, nous ont transporté dans ‘leur monde’, celui dont ils rêvent peut-être, celui dans lequel ils vivent et se projettent. Cette représentation du futur est l’expression de leur perception présente…Elles·ils veulent un monde en paix, écologique, respectueux de la nature et des êtres humains. Certain·es ont exprimé un désir de sécurité, sans doute lié à l’atmosphère dans laquelle nous baignons en cette fin d’année. Ces collégien·nes ont admirablement fait dialoguer l’imaginaire (le futur) sur la base de la réalité (présent)…Beaucoup de créativité dans les terminologies : on espère un jour voir circuler le train extrêmement rapide volant dit le TERV ou la voiture à combustion végétale dite VCV ; on espère un jour pouvoir visiter Neptunia, Esmée ou Domiville ; on aimerait naviguer sur le fleuve Plantule…Du point de vue de la structure des villes, on peut dire que les organisations urbaines sont bien pensées, presque de quoi rendre jaloux·se un·e urbaniste professionnelle…Dans cette réflexion très complète, elles·ils ont eu aussi une approche politique et sociale. Ces cartes témoignent de leur souci de l’espace public, de bien concevoir les lieux à usage collectif. Les élèves évoquent — dans leurs conceptions de morphologie urbaine — un espace pour tous, sans discrimination. Il y a du multiculturalisme, du dialogue inter-religieux ou œcuménisme, des transports collectifs, des lieux publics attractifs, des rues larges, des lieux de rencontres, de culture et d’éducation. Et dans certains cas une intégration ‘rurbaine’ où l’agriculture se ferait en ville. »

2014 Essec ville de demainMême si le document date un peu (et qu’il est nettement moins poétique !), les réponses d’un panel d’étudiants interrogés en 2014 sur la Ville de demain sont également éclairantes : « A leurs yeux, une ville intelligente est davantage une ville durable (à 62%) qu’une ville ultra-connectée (à 19 %) », indique l’enquête.

Enfin une enquête de 2017 effectuée auprès d’un panel d’adultes sur leur idée de la Ville de demain vient confirmer la place de choix accordée à la nature par rapport aux autres critères proposés, et le relatif désintérêt (ou méfiance ?) pour la technologie en tant que telle.

2017 Enquete Ville de demain
Question : parmi cette liste de propositions, quels sont pour vous les critères ou dimensions qui correspondent le mieux à l’idée que vous vous faites des la ville de demain ?

Élaboré par nos amis belges, le projet participatif smartcity.brussels a le mérite de proposer une vision plus large de ce que pourrait être une « Smart City/Ville intelligente ». Pour cela ils emploient six mots clés : « collaborer » – « économiser » – « innover » – « intégrer » – « participer » – « simplifier », et surtout reprennent six domaines identifiés par un chercheur urbain, Boyd Cohen : « économie » – « gouvernance » – « environnement » – « qualité de vie » – « société » – « mobilité », intégrés dans un schéma où chacun peut aller puiser de l’inspiration, sinon le bonheur. Enfin ils règlent son compte au rôle de la technologie dans la ville intelligente en utilisant la métaphore de la lasagne : les néophytes apprécieront l’effort de pédagogie, les ingénieurs en systèmes d’information moins, sans doute ?

Smart City
Source : smartcity.brussels

Je vous entends tous trépigner d’impatience pour savoir ce qu’en pense finalement Madame Euromedhabitante, geek de 57 ans, tout en regardant monter son immeuble. Mais j’ai été trop longue ce mois-ci : il va donc vous falloir patienter quelques semaines pour la suite… promis je repasse avant le Père Noël ?