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Espaces Publics-Privés

Depuis maintenant deux ans que je m’intéresse au renouveau du quartier, je prends toute la mesure des problématiques de l’aménagement et de la gestion de ses espaces publics. La bonne nouvelle est que les chantiers avancent et que sur certains projets (Parc Bougainville, « Quartiers Libres », pour ceux que je connais le mieux), la concertation avec les habitants semble avoir pris forme alors qu’il n’y a pas si longtemps la puissance publique locale semblait ignorer jusqu’à l’existence du mot.

Esplanade La Major Laurent Boudereaux
La place de La Major en 2011 – © Laurent Boudereaux

En comparant avec le début des années 2000 et en prenant pour point de départ le Mucem, les espaces se sont agréablement transformés. L’esplanade du Mucem/J4 d’abord, ainsi que la place qui lui fait face de l’autre côté du quai de La Tourette, la place de La Major débarrassée de ses voitures, et en allant vers le Nord, la belle terrasse des « Terrasses du Port » – passé un square mystérieusement dédié aux consuls, qui n’avaient probablement pas anticipé qu’il servirait de refuge à des personnes sans domicile… 

Du côté du front de mer restent des espaces appartenant au Grand Port Maritime de Marseille, qu’on espère voir un jour ouvrir aux publics, avec pour commencer le projet du nouveau J1, dont les travaux sont censés démarrer en 2021.

Place Verneuil
La place Henri Verneuil (parking formellement interdit, bien sûr !)

S’ils profitent aux habitants, ces grands aménagements sont néanmoins destinés avant tout à renforcer l’attractivité touristique de Marseille. Après les Terrasses du Port et Les Docks Village, qui vit grâce à ses bureaux mais cherche toujours son grand public, on débouche sur une autre esplanade, la place Henri Verneuil. Elle marque l’entrée d’Euromed Center, dont la construction a été bouclée en mars dernier avec la livraison du multiplexe Pathé Gaumont La Joliette.

On arrive ici dans un endroit plus habité, que ce soit par ceux qui y travaillent ou par ceux qui y vivent, ou parfois les deux. Là s’arrête la balade touristique et commence notre « vraie vie », avec d’autres exigences, comme par exemple celle d’avoir un minimum d’espaces verts où pouvoir se poser, et accessoirement faire connaissance des autres habitants de notre quartier. Malgré la plantation d’arbres le long des rues, le « Parc Habité » situé plus haut n’est en effet qu’un parc… immobilier.

Vue d’une partie du “Parc Habité” (au 1er plan). Seul espace de verdure : le “jardin de lecture” des Archives.
Le "jardin de lecture" des Archives départementales
Le “jardin de lecture” des Archives départementales

En attendant que, une station de métro plus loin, commencent les travaux du (vrai) Parc Bougainville, on s’émerveille donc de l’ouverture d’un joli jardin devant le cinéma, qui complète agréablement le « jardin de lecture » des Archives départementales situé un peu plus haut.

Entre les deux, l’esplanade des Archives n’est pas arborée mais est néanmoins devenue depuis sa construction en 2006 le point de rencontre des familles du quartier, et un spot incontournable pour les skateurs et autres fans de glisse.

En remontant d’une rue et en repartant vers le Sud, on passe devant la petite aire de jeux de la rue de Ruffi, avec à l’arrière un jardin partagé. Poursuivant sur l’avenue Camille Pelletan, on arrive au Parc de la Porte d’Aix, dont la première partie doit ouvrir le 8 juin. Enfin, plus à l’Est, s’échafaude depuis cinq ans non pas avec Euroméditerranée mais avec la Ville, et maintenant la Métropole, le projet « Quartiers Libres» et sa future forêt – oui, carrément une forêt !

Projection de la Porte d’Aix réaménagée. Encerclée en rouge, la première partie du parc – © Territoires Urbains
Question Quartiers Libres
“Quartiers Libres” : questions d’un habitant

Jusque-là tout va presque bien. Mais si je vous ai parlé de « bonne nouvelle » au début de cet article, c’est forcément qu’il y en a une moins bonne. En effet, ici comme dans de nombreux quartiers de Marseille, la gestion de ces espaces dédiés aux habitants pose systématiquement problème à ceux qui en sont responsables.
Les équipes d’aménagement d’Euroméditerranée l’ont bien compris et se sont semble-t-il résignées à ne pas prévoir d’équipements dont la gestion et l’entretien soient confiés à la Ville, sauf signature et engagement ferme de cette dernière à assumer ses responsabilités.

Parc-Habité-ATL 04
“Voie nord-sud” du Parc Habité, 2008
© Ateliers Lion Associés

De fait, Yves Lion, l’architecte de la ZAC Cité de la Méditerranée, paraît avoir très tôt revu sa copie du « Parc Habité », préférant finalement à un vrai parc « une succession de jardins en cœur d’îlots » qui profiteraient « aux seuls riverains », et ce après avoir écrit que le quartier manquait « terriblement d’équipements publics de toute sorte et surtout de structure urbaine verte. » Ici il n’est pas très compliqué de lire entre les lignes que l’entretien et la sécurité d’un « jardin en cœur d’îlot » est surtout préférable pour la municipalité à celui d’un parc car il est totalement à la charge des copropriétaires. Et tant pis si cela ne profite pas au plus grand nombre : les autres se contenteront des allées plantées. En remontant le fil on s’aperçoit que Yves Lion avait en fait prévu cinq squares publics mais qu’Euroméditerranée les a finalement abandonnés dans son plan de réalisation de 2012, sous la pression de la municipalité qui ne voulait en assumer ni la gestion ni l’entretien.

La question est également patente dans les autres projets. Sujet récurrent des réunions de concertation sur le futur Parc Bougainville, la surveillance et la gestion du parc devraient finalement être confiées «  à une entreprise privée », aux dires même de la Présidente d’Euroméditerranée. Du côté de la Porte d’Aix, la première partie du parc attend depuis presque un an son gardien municipal pour pouvoir ouvrir.

Dans les « Quartiers Libres », l’option semble être de laisser la future forêt du Muy « ouverte à tout le monde, habitants comme visiteurs, de jour comme de nuit » – ce qui n’est pas sans poser quelques questions. En revanche les habitants du quartier regrettent que les horaires d’ouverture du Couvent Levat, qui est pour l’instant géré par une association désignée par la Ville, « soient fluctuants (ce qui est un frein à des habitudes de fréquentation) et peu adaptés aux besoins (fermé le samedi, par exemple). »

Smartseille mai 2019
“Smartseille”, mai 2019 – © @JRMarseille13

On ne peut cependant plus reprocher aux aménageurs de ne pas étudier la question du devenir de ces équipements avant qu’ils ne soient construits.
Vitrine de l’innovation d’Euroméditerranée, l’ilôt arboré Smartseille réussit même la prouesse de garder ses entrées extérieures grandes ouvertes durant la journée afin de permettre non seulement aux habitants mais aussi à tous ceux qui ont à y faire d’y circuler librement.

D’où une franche incompréhension (euphémisme poli) lorsqu’à côté de cela nous venons de nous voir fermer au nez deux espaces qui avaient parfaitement trouvé leurs publics et ne demandaient qu’à incarner davantage ce fameux « vivre ensemble » dont on nous rebat par ailleurs les oreilles.

LoveMarseille1

Le « Jardin d’Arenc », tout d’abord, partie intégrante d’Euromed Center, ouvert au public fin mars, quelques jours avant le multiplexe La Joliette, et complètement clôturé et fermé un mois plus tard, sans aucune communication des propriétaires à qui Euroméditerranée a vendu le terrain ( Pathé Gaumont, Région Sud et Covivio/Foncière des Régions), ni réponses à nos nombreuses questions posées sur les réseaux. S’ensuit néanmoins un débat en ligne sociologiquement intéressant où l’on trouve pêle-mêle :
– des défenseurs du bien public : « c’est privé, ils font ce qu’ils veulent » (sauf que le projet présenté était celui d’un espace ouvert aux publics) ;
– des Marseillologues : « c’est normal, si on ferme pas ça devient n’importe quoi »
(donc plutôt que de changer quoique ce soit chez nous, déménageons dans une ville normale, qui sait éduquer sa population et gérer ses espaces de vie ?) ;
– des ingénieurs : « oups ! en fait c’est un bassin de rétention » (d’où l’installation de bancs, de poubelles et d’éclairages, sans doute pour les grenouilles) ;
– et heureusement une majorité d’habitants, d’usagers et de citoyens marseillais très fâchés, dont de nombreux twittos que je remercie.

Un mois plus tard, c’est au tour de l’esplanade des Archives départementales de se barricader. L’ensemble étant en travaux depuis plusieurs mois, personne n’a vu venir le coup (et le permis de construire d’août 2017 me saute brusquement aux yeux, à moins qu’il ne soit soudain devenu plus visible…). Là non plus, aucune communication ni réponse à nos questions, notamment sur les éventuels horaires d’ouverture des grilles. « Un vaste parvis et un jardin public [le jardin de lecture des Archives, NDLR] entourent l’édifice : l’ensemble pourrait bien former le cœur d’un quartier où la trame urbaine connaît un profond renouvellement et où doivent être très prochainement construits immeubles d’habitation, immeubles de bureaux et grands équipements culturels et commerciaux », peut-on lire sur le site Internet qui date un peu : à croire que là aussi le plan a changé, tout comme celui de faire venir un marché de producteurs sur cette esplanade, projet qui plaisait aux habitants mais est lui aussi passé aux oubliettes.

Au-delà de la colère et de la frustration légitimes provoquées par ce genre d’événements, pointe bien sûr l’inquiétude de voir des « répliques » se produire sur les nouvelles installations, une fois que les rubans auront été coupés et les discours d’inauguration prononcés. Et ce qui est en jeu ici, ce n’est pas simplement l’ouverture ou la fermeture d’un lieu mais le risque que ces quartiers nouveaux ou rénovés ne réussissent jamais à devenir à la fois vivants et vivables. C’est aussi un mépris qui ne dit pas son nom pour les usagers et, ne l’oublions pas, pour toutes les équipes terrain qui travaillent dur sur ces projets et y croient sincèrement. Cadenasser un espace de vie dans un quartier, c’est non seulement avouer son incapacité à gérer son usage par ses publics, mais encore leur jeter à la figure qu’on a d’autres chats à fouetter.

2 réponses sur « Espaces Publics-Privés »

Bravo pour ce nouvel article qui montre à quel point le quartier bouge et on le mesure pas assez. Quand on voit le “travail” et la “responsabilité” des équipes des agents des parc et jardins publics…on comprend la réticence des politiques et de beaucoup de marseillais.

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